Il est des lieux qui ne se contentent pas d’accueillir des voyageurs : ils deviennent des chapitres vivants de l’Histoire. Le Pera Palace, inauguré en 1892 pour les passagers de l’Orient-Express, est de ceux-là. Derrière ses murs néo-classiques et art nouveau, entre Orient et Occident, se sont croisés Mustafa Kemal Atatürk (fondateur de la République turque), Agatha Christie, Greta Garbo, Hemingway. Aujourd’hui encore, ce palace mythique fascine et inspire. Pour comprendre comment il conjugue héritage et modernité, j’ai eu le privilège de recueillir les paroles de Murat Eti, son Directeur Général, et de Haydar Celayir, son Directeur Commercial & Marketing. Deux voix complémentaires qui veillent, chacune à leur manière, sur l’âme du Pera Palace.
Istanbul, carrefour d’histoires et de cultures
Aucun récit du Pera Palace ne saurait être complet sans évoquer Istanbul, la ville qu’il incarne et reflète. Cité des contrastes, elle se déploie entre deux continents, entre minarets et gratte ciel, Bosphore et ruelles animées. Istanbul est à la fois un héritage millénaire et une métropole en mouvement perpétuel. Chaque promenade révèle ses couches d’histoire : byzantine, ottomane, républicaine. « Istanbul est une porte d’entrée vers le monde, et le Pera Palace en est l’un des symboles», résume Murat Eti. Ici, la mémoire des sultans, des voyageurs de l’Orient-Express et des écrivains se mêle à la vitalité d’une ville cosmopolite et vibrante, toujours en quête de renouveau.
Ce dialogue entre l’hôtel et sa ville se prolonge jusque dans l’imaginaire visuel : le Pera Palace devient décor, personnage, écran vivant.
Entretien avec Murat Eti, General Manager
Vous êtes à la tête d’un hôtel légendaire. Comment conjuguez-vous héritage et modernité ?
Nous considérons qu’il est de notre mission de sauvegarder l’esprit historique du Pera Palace tout en créant des expériences mémorables pour les voyageurs d’aujourd’hui. Ainsi, la restauration des détails architecturaux, la préservation de la chambre-musée d’Atatürk ou encore la tradition du Afternoon Tea témoignent de cette fidélité au passé. Mais ces gestes s’accompagnent de conforts contemporains, d’événements culturels et d’une hospitalité personnalisée : un équilibre subtil entre hier et aujourd’hui.
Parmi toutes les histoires liées au Pera Palace, laquelle vous a le plus marqué ?
Celle de Mustafa Kemal Atatürk, fondateur de la République turque. Travailler dans un lieu qui a accueilli un homme d’une telle importance, et où sa mémoire demeure vivante, est un privilège rare.
Qu’est-ce qui, selon vous, rend l’expérience du Pera Palace unique pour un visiteur ?
Les hôtes du Pera Palace ne se contentent pas d’occuper une chambre : ils marchent dans les couloirs de l’Histoire, dînent là où des écrivains ont trouvé l’inspiration. Plus qu’un séjour, c’est une traversée du temps.
Quelle est votre plus grande fierté en tant que directeur ?
Voir nos invités repartir avec l’impression d’avoir vécu un fragment d’Histoire, et non seulement séjourné dans un hôtel.
Comment imaginez-vous l’avenir du Pera Palace ?
Le Pera Palace restera un joyau intemporel, mais en perpétuelle évolution, grâce à de nouvelles collaborations culturelles et des expériences conçues pour les générations à venir.
Entretien avec Haydar Celayir, Sales & Marketing Director
Comment définiriez-vous le positionnement du Pera Palace aujourd’hui ?
Le Pera Palace se définit comme un monument culturel vivant, où l’hospitalité moderne rencontre l’Histoire. Nos campagnes de communication s’articulent autour de trois valeurs : authenticité, élégance intemporelle et richesse culturelle. Il ne s’agit pas seulement d’hébergement, mais de faire vivre une histoire immersive.
Quel rôle joue le storytelling dans votre stratégie ?
Il est central. Les récits liés au Pera Palace – Agatha Christie, la chambre-musée d’Atatürk, les écrivains et leaders passés par l’hôtel – transforment un séjour en véritable voyage dans le temps.
Le Pera Palace reste très lié à la culture. Comment cela se traduit-il concrètement aujourd’hui ?
Nous restons fidèles à notre héritage en accueillant encore des pièces de théâtre, des soirées thématiques, des événements artistiques. La culture demeure au cœur de l’expérience Pera Palace.
Quelles sont vos ambitions pour l’avenir ?
Renforcer notre position de cœur culturel de l’hôtellerie stambouliote. En préservant notre héritage, nous innovons à travers le digital, la programmation artistique et l’expérience client. L’ambition est d’être à la fois un hôtel historique et une marque tournée vers l’avenir.
Le Pera Palace à l’écran
Le Pera Palace ne vit pas seulement dans la mémoire, il se raconte aussi à l’écran. La série Midnight at the Pera Palace sur Netflix le place en personnage à part entière : un portail entre passé et présent, un décor vivant qui emmène le spectateur jusqu’en 1919. Le film Taken II y a posé quelques plans, et dans Three Thousand Years of Longing, le personnage incarné par Tilda Swinton y séjourne. Autant de signes que ce lieu continue de captiver réalisateurs et voyageurs. Ces œuvres prolongent le pacte du palais avec le rêve : donner corps aux mystères, faire vibrer l’atmosphère, raconter la ville à travers ses ombres et ses lumières.
Après l’image, vient le verbe : les pages aussi ont capturé l’éclat du Pera Palace, comme pour mieux sceller sa place dans la mémoire culturelle.
Le Pera Palace en littérature
Le palace ne vit pas seulement dans les souvenirs de ses hôtes ou dans l’imaginaire d’Agatha Christie. Il est aussi devenu le sujet d’un essai marquant : Midnight at the Pera Palace: The Birth of Modern Istanbul de l’historien américain Charles King. Dans ce livre, l’hôtel apparaît comme un véritable personnage, témoin de la transformation d’Istanbul au début du XXᵉ siècle. Entre diplomates, espions, artistes et voyageurs de l’Orient-Express, le Pera Palace s’y révèle comme un carrefour où se croisent intrigues et destins, reflet de l’âme cosmopolite de la ville.
Les trésors du Pera Palace
Parmi les trésors du Pera Palace, certains objets racontent l’histoire autant que les murs. L’ascenseur électrique, installé en 1892 et encore en fonction aujourd’hui, reste l’un des symboles les plus touchants de l’hôtel : une grande dame de fer et de verre, qui a vu passer des générations de voyageurs. Il y a aussi la chambre 411, où Agatha Christie aurait écrit Le Crime de l’Orient-Express, et la chambre 101, devenue un musée dédié à Mustafa Kemal Atatürk (fondateur de la République turque). Autant de lieux qui font de chaque séjour une immersion dans la mémoire d’Istanbul. Et puis, au détour du Kubbeli Lounge ou de la Pâtisserie de Pera, le thé de l’après-midi et ses douceurs prolongent ce voyage dans le temps, entre saveurs ottomanes et raffinement européen.
Ville, écran, littérature : toutes ces résonances convergent vers un même point, le cœur battant du Pera Palace, où l’Histoire se métamorphose en émotion.
Malgré le temps qui passe, le Pera Palace continue de fasciner et de faire rêver. C’est cela, le vrai luxe : cultiver ses racines et son histoire, tout en avançant et en émerveillant dans le présent. Un lieu où chaque instant devient mémoire. Comme deux danseurs qui s’élancent dans une valse, le Pera Palace et Istanbul se répondent : l’un porte l’écho des siècles, l’autre insuffle son énergie vibrante. Ensemble, ils composent une harmonie unique, entre mémoire et mouvement, tradition et avenir.
Et moi, en écrivant ces lignes, je rêve déjà de ma première visite à Istanbul. J’imagine pousser les portes du Pera Palace, m’asseoir dans un fauteuil du Kubbeli Lounge et déguster un thé accompagné d’une pâtisserie, en laissant mes pensées voyager entre les fantômes du passé et l’effervescence du présent. Ce jour-là, je sais que l’Histoire et la poésie se donneront rendez-vous dans une tasse de thé.
Sandrine Aloa-Mani