
Thierry Beccaro a quitté la télévision il y a maintenant six ans, mais il n’a jamais quitté le cœur du public. Animateur, comédien, auteur, il a su transformer une histoire personnelle douloureuse en une force de partage et de résilience.
Aujourd’hui, il revient sur scène avec Le Goût du Bonheur, une comédie romantique tendre et universelle, qu’il joue aux côtés de Tonya Kinzinger et Sylvain Boccara.
J’ai eu le plaisir de le rencontrer pour évoquer avec lui son parcours, ses émotions et ce qui continue de l’animer.
Le grand danger, c’est de “jouer à l’animateur”. J’ai essayé le plus possible d’être moi-même.
Thierry, vous avez quitté la télévision il y a six ans, mais le public vous reste toujours aussi attaché. Comment expliquez-vous cette fidélité ? Que pensez-vous avoir transmis durant vos trente ans d’antenne ?
Le plus beau cadeau que l’on puisse me faire, c’est de me dire que j’ai laissé quelque chose au public. D’avoir laissé une trace dans la mémoire des gens à travers mes émissions : Motus, 40 degrés, Matin Bonheur m’émeut. Souvent, quand je rencontre le public, il me “rouspille” gentiment parce que je ne suis plus à l’antenne.
Cela fait partie des récompenses. Le public m’accorde une reconnaissance qui me touche beaucoup. Le plus grand danger de ce métier, où l’on se donne tellement, c’est l’oubli. Moi, j’ai essayé d’apporter du bonheur aux gens avec sincérité. Ce n’est pas facile de traverser la caméra, mais beaucoup m’ont dit que lorsqu’à Télématin je souhaitais un bon petit déjeuner, ils avaient l’impression que j’étais avec eux.
Le grand danger, c’est de “jouer à l’animateur”. J’ai essayé le plus possible d’être moi-même.
Quand vous avez arrêté la télévision, vous avez choisi de raconter votre histoire intime. Était-ce une libération nécessaire ou une évidence qui s’est imposée progressivement ?
J’ai pu refermer la porte de la télé parce que les choses se sont installées en même temps. Au départ, je ne souhaitais pas raconter mon histoire. On me l’avait proposé plusieurs fois, mais je ne voulais pas venir raconter à la télévision des « petits bouts » de malheurs ici et là.. Et puis un jour, Monique Cara, une productrice ideatrice de nombreux programes tv , m’a convaincu. J’ai voulu raconter dans son entièreté mon histoire de maltraitance.
L’écriture implique un face-à-face avec soi-même. Qu’avez-vous redécouvert ou compris sur vous en replongeant dans votre enfance pour Je suis né à 17 ans ?
Pour « Je suis né à 17 ans« , j’ai pu écrire sans trop de difficulté, car j’avais déjà été en analyse pour m’aider à me réparer. Celle qui à l’époque allait devenir ma femme m’a beaucoup aidé et encouragé à consulter. Le plus difficile, c’est que parfois tu finis par te demander si tout ce que tu racontes est vrai. Pendant longtemps, je n’employais pas les bons mots : “Papa était en colère”, “Papa me tapait”… Non la vérité c’est qu’ Il me rouait de coups dans les escaliers, pour le moindre prétexte.
La vraie difficulté, c’était d’aller au bout des choses, de les raconter avec les bons mots. Ceux qui ont été les plus durs avec moi et sans avoir lu le livre, c’est la famille.Le livre, je l’ai préparé avec ma mère. Ce n’est pas un livre de revanche, mais du factuel , je dis : “Voilà ce que j’ai vécu.”
Vous avez réussi à transformer la douleur en lumière, sans jamais perdre le sourire. D’où vient, selon vous, cette force intérieure ?
Quand j’ai préparé le livre, j’ai demandé à ma mère de me prêter des photos. Sur toutes, je souriais. C’est ma femme qui me l’a fait remarquer. Et pourtant je vous assure que je me souviens la douleur que cache chaque photo. Là ma femme m’a dit : si tu souris “C’est parce que tu n’étais pas fait pour ça.”
En y repensant , oui, c’est vrai, je n’ai jamais perdu mon sourire. Dans « Un dimanche à la campagne », l’émission de FranceTv, Frédéric Lopez m’a demandé : “Qu’est-ce que vous diriez au petit Thierry ?”
Je lui ai répondu : « on s’en est bien tiré quand même, bravo ». Ce n’est pas moi qui ai été courageux, mais le petit Thierry.
Comment avez-vous trouvé l’équilibre entre dire ce qu’il fallait dire et vous protéger de ce qui aurait pu vous blesser à nouveau ?
Lorsque j’ai joué mon seul-en-scéne au Festival d’Avignon: L’Amour à la menthe-dans lequel je raconte mon histoire, après mon spectacle, j’ai serré beaucoup de gens dans mes bras. Moi, ça va, parce que je n’ai pas attendu d’écrire , pour me faire aider à me réparer intérieurement, comme je vous l’ai raconté plus tôt. Je peux évoquer mon histoire aujourd’hui sans pathos.
Grâce à l’analyse, j’ai appris la nuance. C’est ce que j’essaie de transmettre aux gens qui viennent à ma rencontre comme a Avignon, ou dans des salons du livre. J’ai compris le parcours de mon père.J’ai appris le pardon. Il faut essayer de comprendre pour se libérer. Cela ne veut pas dire excuser, mais comprendre d’où ça vient. Vous savez, les gens qui ont vécu ce que j’ai vécu, j’ai l’habitude de dire qu’on est des puzzles. Il manque peut-être quelques pièces, mais on avance.
Vous venez d’évoquer votre seul-en-scène sur votre histoire au dernier Festival d’Avignon, L’Amour à la menthe. Qu’est-ce que le théâtre vous apporte que l’écriture ne peut pas offrir ?
Le théâtre, que je pratique depuis mes 17 ans alors que j’étais à l’époque très timide, m’a permis de changer de peau. Devenir un autre. Un méchant, un amoureux, un personnage de Molière…changer de peau et de costume me permettait d’être ailleurs. Exactement comme le basket m’a aidé aussi.Tout ce qui m’a permis d’être avec les autres, et empêcher de rester seul et de faire des bêtises m’a aidé. Quand tu es sur scène, tu es avec une troupe, tu partages. C’est une école de vie.
Depuis que vous racontez votre histoire, le public vous confie aussi les siennes. Comment vivez-vous cette résonance et cette confiance qu’il vous accorde ?
C’est parfois difficile d’écouter et de recevoir les témoignages des gens, mais ce sont des cadeaux.
Les gens me disent merci, car ma parole les a libérés. Beaucoup me disent qu’ils ne pardonnent pas à ceux qui leur ont fait du mal. Alors j’essaie de les inviter à la prudence, à la nuance.
Il y a beaucoup d’amour dans tout ce que je reçois. C’est cadeau.Si ça m’embetait ce serait renier tout ce que j’ai essayé de faire et de transmettre.
Regardez-vous encore la télévision ? Quels liens gardez-vous avec vos anciens collègues ?
J’ai entretenu des rapports cordiaux avec mes collègues mais nous ne sommes pas amis. Je suis très respectueux, mais j’ai toujours été sur mes gardes, très méfiant en général.
Quand je suis retourné à France Télévisions pour la soirée autour de mon téléfilm, j’ai été accueilli au pied de l’immeuble par Tom un jeune homme qui travaille dans ces locaux. Quand nous sommes arrivé dans le studio, les techniciens m’ont salué avec affection. Alors j’ai dis a Tom : “Tu vois, quand tu reviendras ici dans 30 ans et que tu recevras ces marques d’affection, tu pourras te dire que tu as réussi.”
Dans ce métier, si tu es correct et respectueux, les gens s’en souviennent.J’ai été très ému de cet accueil.

Votre nouvelle pièce, Le Goût du Bonheur, raconte l’histoire de Margot et Alexandre, deux êtres qui s’aiment mais peinent à se le dire. Qu’est-ce qui vous a touché dans ce texte ?
C’est la première fois que je joue une comédie sentimentale, un peu à l’italienne.
Deux êtres qui ont un passif, qui se rencontrent, et peu à peu, apprennent à s’aimer. Pendant toute la pièce, il y en a toujours un qui dit ou fait ce qu’il ne faut pas, ce qui les empêche d’être ensemble.
C’est un personnage que je n’avais jamais joué : un homme amoureux, maladroit, qui finit par se déclarer.
À savoir
Le Goût du Bonheur — une comédie romantique de Bruno Druart et Patrick Angonin-Mise en scène Olivier Macé
Avec Thierry Beccaro, Tonya Kinzinger et Sylvain Boccara.
En tournée dans toute la France jusqu’en 2026.
Une pièce tendre, drôle et universelle, où l’amour se raconte à travers les maladresses du quotidien.
Puisque ce magazine a des origines italiennes, quel est votre rapport à l’Italie aujourd’hui ?
J’ai beaucoup de regrets par rapport à l’Italie, car mon passé avec mon père a fait que j’ai occulté ce côté. J’ai résisté à la langue— la langue de mon père. Mais je la connais à travers Lucio Battisti, Lucio Dalla, Marino Marini des auteurs compositeurs italiens qui ont fait l’histoire de la chanson italienne.
Et si vous deviez donner votre propre définition du bonheur aujourd’hui Thierry Beccaro?
Il y a un auteur que j’aime beaucoup, Alexandre Gallat, qui dit :
« Le bonheur est un papillon sauvage : l’ombre de notre main l’effarouche. »
J’ai toujours pensé que dans la vie, le bonheur se découpe en instants.
Tout à coup, ton cœur bat plus fort. Le bonheur, c’est un souffle. Être en paix avec soi-même c’est cela pour moi le bonheur.
« Bienheureux les fêlés, car ils laissent entrer la lumière » comme disait Audiard
Chez Thierry Beccaro, tout passe par le cœur.Son parcours, jalonné de fidélité, d’humilité et d’engagement, résonne comme une ode à la tendresse et à la vérité. En l’écoutant parler, on comprend que la lumière qu’il diffuse depuis tant d’années n’a rien d’un hasard : elle vient de cette part d’humanité qu’il porte en lui — sincère, fragile, et infiniment forte.Sur scène comme dans la vie, il avance avec une sincérité désarmante. Après l’ombre, il a choisi la lumière — celle du partage, de la bienveillance et du courage tranquille. Le Goût du Bonheur est à son image : un hymne à la tendresse, à la vie.
Propos recueillis par Sandrine Aloa-Mani
pour Cinérama Boulevard