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THIERRY GODARD DANS ENGRENAGES- photo Canal Plus

THIERRY GODARD- PORTRAIT D’UN ACTEUR D’EXCEPTION

Derrière l’acteur, un homme vrai, lumineux et libre. Thierry Godard appartient à cette lignée rare d’artistes qui ne trichent pas. Derrière la la vie dissolue de Gilou, la sensualité de Raymond Schwartz et son ambiguïté face à la guerre, il y a lui, Thierry Godard et cette force si délicate et intense qui traverse chacun de ses rôles.

by redazione

 

Thierry Godard

Thierry Godard

 

Acteur d’Exception est notre nouvelle rubrique, et c’est une évidence qu’elle commence avec lui : Thierry Godard. Car cette rubrique, en vérité, est née grâce à lui.

J’avais beaucoup entendu parler de la série culte Un Village Français, mais je ne l’avais jamais vue. Il y a deux ans, je l’ai regardée pour la première fois, et, comme beaucoup, j’ai été touchée par la justesse du propos, la densité du récit. Mais cet été, en la regardant de nouveau — peut-être parce que je connaissais déjà l’histoire —je me suis attardée sur le jeu des acteurs. Et là, dès le premier épisode, les premières scènes, j’ai été happée par celui de Thierry Godard. Dés le premier épisode car après quelques minutes iI y a cette scène d’une sensualité rare: ou Raymond Schwartz son personnage,  aide Marie à déplacer un meuble très lourd dans sa cuisine. Le geste est banal en apparence, mais TOUT passe dans le regard du personnage. On sent son désir pour elle, teinté d’une forme de douceur et d’admiration silencieuse. Cet amour naissant, déjà chargé d’une tension émotionnelle, s’inscrit dans chaque détail du jeu de l’acteur.(Cette scène comme le refrain des chansons que j’aime, je l’ai vue et revue et je la reverrai, elle me trouble et bouleverse à chaque fois).

Son interprétation de Raymond Schwartz est bouleversante. Il ne joue pas son personnage, il l’habite. Tout est juste dans le jeu de Thierry Godard : de ses mains (celles de son personnage) qui caressent le corps de Marie à son regard traversé par toutes les émotions de son amour pour elle.

 

THIERRY GODARD EST RAYMOND SCHWARTZ DANS LA SERIE UN VILLAGE FRANCAIS

THIERRY GODARD EST RAYMOND SCHWARTZ DANS LA SERIE UN VILLAGE FRANCAIS

En l’écoutant me parler de ce rôle en off, j’ai compris combien les scénaristes l’avait construit au fil du temps et des scènes peu à peu sur lui. Certaines des scènes portent ses réactions à lui Thierry Godard et il en ressort toute l’humanité du personnage. Comme celle terrible de la visite médicale antisémite, car, soupçonné d’être juif, Raymond son personnage, y subit toute sorte d’humiliations. Sa réaction instinctive à ces humiliations (qui n’était pas écrite), celle de se lever brusquement en repoussant le médecin inquisiteur d’un geste sec exprime tout son dégoût vers le moment qu’il vient de passer et nous libère nous spectateur de la tension insoutenable et revoltante du moment. Ces éclats d’humanité, mêlés à sa sensualité, font de Raymond Schwartz/Thierry Godard un personnage inoubliable — et à mes yeux l’un des plus beaux de la télévision française de ces dernières années. C’est pour son son interpretation formidable de ce personnage qu’est née cette rubrique. Thierry Godard y est tout simplement immense.

La carrière de Thierry Godard est marquée par des rôles forts, d’une intensité constante, et une fidélité sans faille du public. Mais son chemin commence bien avant cette reconnaissance. Adolescent, il suit des cours de théâtre le soir, tout en apprenant le métier de menuisier le jour. Le goût du jeu était déjà là, même s’il l’ignorait.

 

THIERRY GODARD DANS ENGRENAGES- photo Canal Plus

THIERRY GODARD DANS ENGRENAGES- photo Canal Plus

Depuis, il a sculpté des personnages qui ont marqué la mémoire collective : Gilou dans Engrenages, ce flic déchiré par ses failles mais ancré dans une humanité profonde; Raymond Schwartz, emblème des contradictions d’une époque trouble ; Toussaint Maheu dans Germinal, figure de la lutte et de la dignité des mineurs ; ou encore Pascal dans le film Pour Elle,  tout en contraste avec son frère Julien (Vincent Lindon) en fuite . Aujourd’hui, il s’invite jusque dans l’univers de Star Wars avec Andor saison2 . Rien d’étonnant : Thierry Godard peut tout jouer, et toujours avec cette humanité discrète et “dévastatrice”qui touche le spectateur en plein coeur.

 

Intensité, sincérité, sensualité, authenticité : Thierry Godard ne joue pas ses personnages. Il les incarne. Il les vit, et c’est exactement cela être un Acteur d’Exception.

 

IL FAUT ETRE LE PERSONNAGE COMME ON RESPIRE

Entretien au détour de deux espresso avec Thierry Godard…

En ce jour de Septembre presque ensoleillé, l’acteur se dévoile tout en délicatesse à notre rédaction , avec la même sincérité qui habite chacun de ses rôles.

Thierry Godard, quels souvenirs gardez-vous du cinéma dans votre enfance ? Les atmosphères de cette époque vous inspirent-elles aujourd’hui dans votre jeu d’acteur ?

 « Pour être précis, par rapport au cinéma, chez moi c’était plutôt la télévision. Comme j’habitais en province, on allait très peu au cinéma. Le dimanche on était tous assis ensemble sur le canapé pour regarder Le film du dimanche soir. J’y ai vu mes premiers films – Sautet, Carné…Ils ne m’ont pas donné envie d’être acteur sur le moment, mais ils m’ont nourri plus tard. C’était diffèrent à l’époque, toutes ces plateformes n’existaient pas. Aujourd’hui chacun est concentré sur son écran, à l’époque le film du dimanche soir était le prétexte pour se retrouver tous ensemble. »

Avant de devenir acteur, vous étudiez l’ébénisterie pour devenir menuisier. Qu’est-ce que ce travail manuel et patient vous a transmis ?

 « L’ébénisterie m’a surtout appris l’organisation dans le travail. Quand on est menuisier, on lit un plan, on choisit son bois, on prépare ce dont on a besoin, puis on assemble, on ponce… C’est tout un cheminement. Et finalement, le métier d’acteur, c’est un peu pareil : on lit un scénario, et un parcours se trace dans la tête. On peut se dire qu’il faudra faire du sport ou aller chercher des informations pour nourrir le personnage… Oui, l’ébénisterie m’a enseigné cela l’organisation du travail. »

Quel a été le déclic qui vous a donné envie de devenir acteur et de franchir le pas vers le théâtre, puis vers l’écran?

« C’est arrivé un peu par hasard, au détour d’une discussion dans mon école de menuiserie. J’étais avec un copain qui, lui, avait très envie de devenir acteur. Moi, pas du tout. Ce n’était pas un sujet pour moi. C’est lui qui m’a poussé à lire des textes. Et à partir de là, je n’ai plus arrêté et ça fait quarante-cinq ans que ça dure. »

Mais cela ne voulait-il pas dire que vous aviez déjà ça en vous ?

« À croire que oui. On était là, tous les deux, en train de manger nos sandwichs, quand il m’a dit : “Je voudrais bien être acteur.” Et je lui ai répondu : “Ah bon ? Pourquoi ?” (Rires). Moi, je voulais devenir menuisier. Quand on ne naît pas dans une famille d’artistes, on n’y pense pas. Mais à partir du moment où il m’a dit ça, on s’est mis à lire des textes. Lui, au bout de deux minutes, ça l’ennuyait. Moi, au contraire, la petite graine était plantée. Comme en CAP menuiserie le français n’était pas approfondi, comme pouvait l’être les mathématiques, je me suis mis à lire tout Zola, Flaubert, Stendhal, les auteurs Américains… C’est la littérature qui m’a donné envie de dire des textes. Et puis, ensuite, j’ai eu envie qu’on me voie, qu’on me regarde. Plein d’éléments qui ont fait que je suis allé vers la récitation. »

 Souvent, quand des acteurs formés au théâtre jouent à l’écran, leur jeu garde cette empreinte : des gestes amples, une voix projetée, une intensité parfois trop démonstrative. Chez vous, c’est différent. Vous avez su intérioriser toutes ces démonstrations un peu trop excessives parfois. Comment au contraire, parvenez-vous a exprimer une intensité aussi forte mais de façon contenue ? Est-ce naturel chez vous, ou le fruit d’un travail conscient d’intériorisation ?

 « Je n’ai jamais été un acteur de théâtre très expansif. En cours, je me retrouvais face à des rôles où il fallait beaucoup extérioriser, faire de grands gestes, mais je n’y arrivais pas. Ma première prof de théâtre, Jacqueline Duc, une ancienne de la Comédie-Française, me faisait travailler Molière. Elle voulait absolument que j’interprète Scapin, un personnage qui demande beaucoup de mouvements, mais je n’y arrivais pas. Donc, à la base, je ne suis pas un acteur qui extériorise avec de grands gestes. Je suis plus « intérieur ». Et puis, j’adore la caméra. Quand elle est très proche, je peux  faire passer beaucoup de choses  à travers moins de gestes et plus en finesse.

 IL Y A UNE RENCONTRE ENTRE LE PERSONNAGE ET MOI »

Dans une de vos interviews, vous avez recémentent expliqué qu’il n’y avait pas vraiment de différence pour vous entre la préparation d’un rôle au théâtre et celle d’un rôle à l’écran. Pourtant, les conditions de jeu — le temps, l’espace, l’énergie — ne sont pas les mêmes. Comment parvenez-vous à aborder vos personnages avec la même intensité, quel que soit le cadre ?

« C’est difficile à expliquer parce que c’est très naturel pour moi. Je fais des transferts. Je me vois être le personnage, je le ressens. Entre “action” et “coupé”, je ne pense plus, « je suis ». J’ai appris le lâcher-prise au Studio Pygmalion avec Pascal Luneau. Il m’a appris à ne pas anticiper, à ne pas vouloir savoir à l’avance ce qui allait se passer. Quand on me dit “action”, je me réveille dans la peau d’un autre, dans une situation qui me procure un réel plaisir, un très grand plaisir. Tout à coup, je me sens mieux. Je suis dans une autre dimension. J’aborde mes personnages comme ça. Souvent, je ne regarde pas ce que je fais, parce que je ne veux pas avoir le contrôle. »

De Gilou dans Engrenages à Raymond Schwartz dans Un Village Français, jusqu’à Andor, vous incarnez des personnages aux univers très contrastés. Qu’est-ce qui guide vos choix lorsqu’un rôle vous est proposé ?

« D’abord, je me demande : est-ce que j’ai déjà joué ça ? Si oui, je ne le refais pas. Mais si je sens que pour un rôle similaire je peux trouver quelque chose de nouveau, alors j’y vais. Et puis il y a l’écriture, le réalisateur, et aussi l’envie de jouer avec tel ou tel partenaire

Tony Gilroy est venu vers moi et m’a dit : “Oh Raymond ! » et il m’a serré dans ses bras »

Et pour Andor comment avez-vous été choisi ?

« Pour Andor, mon agent m’a dit que j’avais une possibilité d’auditionner. J’ai fait des essais à distance, des « tapes ». Trois semaines après, ils m’ont demandé d’en refaire pour un autre personnage. Puis, plus de nouvelles, pendant plusieurs semaines. Finalement, je les ai rencontrés à Paris et j’ai refait les scènes devant eux. Une semaine plus tard, ils m’ont annoncé que j’avais le rôle. Quand je suis arrivé à Londres sur le tournage, Tony Gilroy est venu vers moi et m’a dit : “Oh Raymond ! » et il m’a serré dans ses bras » (des rires..les miens, car il ne le sait pas mais ce qu’il me raconte me bouleverse, même si je le savais déjà. Il a tellement été formidable dans ce rôle et j’aime si passionnément Raymond Schwartz, que ce « Oh Raymond » me touche profondément: c’est une reconnaissance magnifique de son travail »…et pourtant, lorsqu’il me raconte cette scène je ne peux m’empêcher de me demander s’il mesure pleinement l’ampleur de l’acteur qu’il est) C’est là, que j’ai compris qu’il m’avait vu dans Un Village Français.  Ils m’ont fait passer des tests, mais en réalité, Tony Gilroy m’avait déjà choisi grâce à mon interprétation de Raymond Schwartz. Je me suis énormément préparé. Je  rêvais la nuit, de  réciter  mes textes dans cette langue imaginaire, dans laquelle je joue dans la série»

Vous êtes arrivé à l’écran vers 35 ans, après de longs passages par le théâtre. Pensez-vous que cette « popularité » tardive vous a donné une profondeur particulière dans vos rôles, une dimension en plus ?

 « C’est très bien que la popularité arrive “tard”, parce qu’il faut savoir la gérer. Le rôle avec lequel j’ai eu une vraie rencontre et par lequel la popularité est arrivée , c’est Gilou dans Engrennages. Ça a été ma première vraie rencontre personnelle avec un personnage et avec la popularité même si cette popularité n’a pas été soudaine. Jouer un flic destroy, pourri, mais avec un cœur, a été une aubaine. Mais la popularité a été lente et tranquille. Un Village Français n’a pas été beaucoup vu à Paris, davantage en province. Il y avait un peu de snobisme autour de cette série. Donc ma popularité, elle s’est faite sur la longueur, sur le tard. En plus j’étais timide je n’étais pas du genre à aller frapper aux portes. Aujourd’hui, je sais ce qui peut me faire du bien ou du mal. Je sais ce que je peux bien faire ou pas. J’aime profondément ma liberté. J’aime être libre. Ce métier me fait du bien parce qu’il me permet de rencontrer des personnes, mais j’aime aussi être seul »

Vous avez récemment découvert La Réunion pour un tournage, avec ses paysages, sa culture, ses saveurs. Est-ce que ces voyages nourrissent aussi votre jeu, votre façon d’entrer dans un personnage ?

« Mon jeu, je ne sais pas. Mais mon être, oui, énormément. La Réunion, c’est une terre puissante. Et quand on se déplace pour un tournage, on est dans des conditions privilégiées, on prend le meilleur. Ça nourrit l’homme, si ce n’est pas toujours l’acteur. Quand je suis allé tourner au Rwanda, c’était pareil : première fois en Afrique centrale, une terre d’une puissance incroyable. L’Afrique du Sud aussi. Tout cela m’a nourri humainement. À La Réunion, j’ai tourné pour la série OPJ et j’ai pris beaucoup de plaisir à le faire

Selon vous, quelle est la qualité essentielle qu’un acteur doit préserver, quel que soit son âge ou son expérience ?

« La sincérité envers soi-même et envers les autres. « Ne pas monter très haut, peut-être, mais rester soi-même* » . C’est le plus important pour moi.

 

Le rituel – Questionnaire Acteur d’Exception

Chaque entretien de cette rubrique se termine par un rituel : dix questions récurrentes, posées à tous les invités. Elles ne sont pas choisies au hasard: elles cherchent à dévoiler ce qui fait la singularité d’un Acteur d’Exception — ses inspirations, ses modèles, ses obsessions, la mémoire des rôles et la manière dont la vie nourrit le jeu.

  • Un film que vous pourriez revoir mille fois ?

          Out of Africa

  • Un livre qui vous a marqué à vie ?

         Martin Eden

  • Un acteur ou une actrice qui vous inspire profondément ?

        Élisabeth Moss

  • Le rôle de vos rêves ?

         Jaurès.

« C’était un grand humaniste et un homme politique comme il n’y en a pas eu depuis. Pour son parcours et pour ce qu’il    représente »

  • Un lieu où vous vous sentez pleinement vous-même ?

        En Suède

  • Selon vous, la plus belle qualité chez un être humain ?

       La Gentillesse

  • Une réplique ou une tirade qui vous a marqué et dont vous vous souvenez encore ?

      « Une réplique dans Will Hunting, quand Robin Williams répète en boucle au gamin : C’est pas ta faute”

         Cette scène est bouleversante de beauté. »

  • Un personnage qui vous colle encore à la peau ?

        « Peut-être Raymond. C’est un personnage auquel je repense souvent. »

  • Quelle place la sensualité occupe-t-elle dans votre jeu ?

        « Je n’y pense pas. » (La vérité c’est qu’il ne se rend pas compte de posséder cette sensualité)

  • Si vous deviez résumer votre vie en une seule image, ou en une scène ?

        « La scène de Robert Redford qui lave les cheveux à Meryl Streep dans Out of Africa.

          Cette scène a un degré de poésie et de  sensualité qu’on devrait garder en tête. »

Alors que l’entretien touche à sa fin, une pensée m’accompagne : Thierry Godard est de ces acteurs qui ressemblent à leurs personnages, ou plutôt l’inverse. Il traverse les rôles comme on traverse les vies, il ne triche pas. Ses personnages laissent une empreinte, comme une rencontre dont on garde en soi la trace. Chaque geste, chaque silence est une expérience intime. C’est cette justesse, cette sincérité sans artifice, qui fait de lui un acteur rare, capable de nous bouleverser et d’imprimer dans nos mémoires des personnages qui nous accompagnent bien au-delà de l’écran. Merci et au prochain personnage Thierry Godard.

Sandrine Aloa-Mani

*Ne pas monter bien  haut, peut-être, mais tout seul* »: La tyrade du « Non merci » dans Cyrano de Bergerac d’Edmond Rostand.

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